MOLIÈRE (pseudônimo). Tartuffe ou l'imposteur: comédie en cinq actes. Paris: Librairie Universelle, 1667. 94 p.

ACTE I 1 SCÊNE YI Égaler l'artifice à la sincérité, Confondre l'apparence avcc la vérité, Estimer le fantôme autant que la personnc, Et la fausse monnaie à l'égal de la bonne? Les hommes la plupart sont étrangement faits 1 Dans la juste nature on ne les voit jamais : La raison a pour eux dos bornes trop petitcs ; En chaque caractere ils passent ses limites, Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent Pour la vouloir outrer et pousscr trop avant. Que tela vous soit dit cn passant, mon beau-frerc . ORGON Oui, vous êtes sans doute un doctcur qu'on révere; Tout le savoir dl1 monde est chez vous retiré; Vous êtes le seul sage et le seul éclairé, 15 Un oracle, un Caton dans le siecle ou nous sommes; Et pres de vous ce sont eles sots que tous les hommes. CLÉANTB Je ne suis point, mon frere, un docteur révéré, Et lo savofr chez moí n'est pas tout retiré. Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science, Du faux avec le vrai faire la différence. Et comme je nc vois nul genre de héros Qui soient plus à priser que los parfaits dévots, Aucune chose au monde et plus noble et plus belle Que la sainte ferveur d'un véritable zele; Aussi ne vois-je rien qui soit plus oclieux Que le dehors plàtré d'un zele spécieux, Que ces francs ·charlatans, que ccs dévots de place, De qui la sacrilege et trompeuse grimace Abuse impunément et se joue, à leur gré, De ce qu'ont les morteis de plus saint et sacré; Ces gens qui, par une àme à l'intérêt soumise, . Font de dévotion métier et marchandise, Et veulent acheter crédit et dignités A prix de faux clins d'ycux ct d'élans affectés; Ces gens, dis-je, qu'on voit, d'une ardeur non cornmunc, Par le chemin du ciel courir à leur fortune; Qui, brulants et priants, demandcnt chaque jour, Et prêchent la retraite au milieu de la cour; 4

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