MOLIÈRE (pseudônimo). Tartuffe ou l'imposteur: comédie en cinq actes. Paris: Librairie Universelle, 1667. 94 p.

PRÉF'ACE DE MOLIERE XX.XIII Je sais qu'il y a dcs esprits dont la délicatesse ne peut soufTrir aucune comédie, qui disent que les plus hon– nêtes son t les plus dangcreuses ; que lcs passions que l'on y dépeint sont cl'autant plus touchantes, qu'elles sont pleincs de vertus, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois. pas quel grand crime c'est de s'attendrir à la vue d'une passion honnête; et c'est un haut étage de vertu que cetle pleine insensibilité ou ils veulent faire manter notre âme. Je doute qú'une si .grande perfection soit dans les forces de la nature hurnaine; etje ne sais .s'il n'est"pas mieux de travaiUcr à rectifier et à adoUcir les passions des hommes, que de vouloir les tetrancher entierement. J'avoue qu'il y a desJieux qu'il vaut mieux fréquentcr que le théâtre; et, si l'on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salut, il est certain que la comédie en doit êtrc, et je ne trouve point mauvais qu'elle soit condamnée avec le reste; mais, supposé, comme il est vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles, et que les hommes aient bcsoin de divertissement, je soutiens qu'ón ne leur en peut trouver un qui soit plus innocent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons parle mot d'un grand prince sur la comédie du Tartuffe. Huit jours apres qu'elle eut été défendue, on rcpré– senta, devant la cour, une piece intitulée: Scaramoizche Ermite; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire : <e Je voudrais bien savoir pourquoi lcs gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Moliere, ne disent rien de ceile de Scaramonche. >> A quoi le princc répondit: cc La raison de cela, c'estque la comé– die de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucien t point; mais cellc de Moliere les joue eux-mêmes, c'estce qu'ils ne peuvent souffrir. l> J.-B. P. DE l\iOLIERE. 3